Soutenir le développement d’un vaccin contre la schistosomiase avec Adam Hassan

Entrevue RCMTN par Maëla Séguin avec Adam Hassan, Avril 2022 : (Transcription de la vidéo publiée le 15 juillet, à l’occasion de la Journée mondiale des compétences des jeunes)

Maëla : Bonjour, je m’appelle Maëla Séguin et je suis l’ambassadrice étudiante et jeune professionnelle du Réseau canadien pour les maladies tropicales négligées. Et aujourd’hui, je suis avec Adam Hassan qui est étudiant au doctorat à l’université de McGill et qui travaille présentement sur le développement d’un vaccin contre la schistosomiase. Merci beaucoup d’être ici Adam et bienvenue.

Adam : Merci pour l’invitation.

Maëla : Donc je vais commencer : est-ce que vous pourriez vous présenter et parler de votre cheminement professionnel.

Adam : Bien sûr, je suis né à Montréal, j’ai [vécu] ici toute ma vie. J’ai étudié et fait mon parcours ici, en sciences ‘nat’ [naturelles] au Cégep. Ensuite, je suis allé en microbiologie/immunologie au baccalauréat, à McGill. Je n’étais pas trop sûr exactement où je voulais aller. Mais j’ai essayé de faire une maîtrise avec les docteurs Momar Ndao et Brian Ward à l’université McGill pour mes études en maîtrise, pour mon projet qui consiste de développer un vaccin contre la schistosomiase. Après un an environ, j’avais décidé de faire le pont au doctorat et de poursuivre mes études au cours des cinq dernières années. Et me voilà, en ce moment, à quelques mois de ma soutenance et en pleine rédaction de thèse pour mon doctorat. Sinon, j’ai toujours eu une petite passion pour les maladies tropicales et je pense que j’ai trouvé le meilleur laboratoire pour moi à ce à [cette] fin.

Maëla : Merci. Alors comment est-ce que les maladies tropicales négligées ont piqué votre intérêt, et votre passion?

Adam : Je pense que c’est un peu drôle, et puis même quand je vais à des ‘career day’ je pense toujours ‘Comment est-ce que tu t’es rendu de là à là’? Je ne comprends pas trop. Puis c’est un peu la même chose dans les sortes de réponse qu’on reçoit dans ces sortes de conférences, où c’est un peu par accident. Déjà, mon bac en microbiologie/immunologie, c’était parce que j’avais pris un cours au Cégep en microbiologie puis j’avais aimé ça assez pour décider de faire mon bac là-dedans. Je n’étais pas trop sûr au début, puis ensuite au [courant] de mon bac, ce que j’aimais bien de la microbiologie, c’est qu’on soit exposé à des bactéries, des virus, des parasites—on a beaucoup de choix et il y a plusieurs domaines où tu peux te lancer. Ce n’est pas très restreint. Alors dans ma dernière session du bac avec mes collègues quand on décidait où on s’en allait après avoir gradué, j’étais en train de prendre un cours de parasitologie avec le docteur Momar Ndao, en fait. Puis j’aimais vraiment ce cours parce que c’était la première fois qu’on recevait une éducation sur tout ce qui était parasitologie, et comme vous le savez peut-être, la parasitologie c’est pas juste la microbiologie; il y a beaucoup d’immunologie là-dedans. C’était très intéressant de voir un peu comment des organismes parasitaires pouvaient influencer l’hôte et utiliser le système immunitaire pour bénéficier et croître. Et puis depuis que j’étais jeune, je voulais toujours quelque chose qui pourrait servir [sur] un plan international et les maladies tropicales négligées, ce sont des maladies qui sont très endémiques dans des régions en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud. Alors j’avais toutes les connaissances que j’avais appris au cours de mon bac qui servait aussi sur un plan global. C’est ça qui a vraiment piqué mon intérêt pour poursuivre mes études à la maîtrise et au doctorat là-dedans.

Maëla : Merci beaucoup. Alors pouvez-vous nous expliquer ce que c’est la schistosomiase et un peu son impact global?

Adam : Bien sûr. La schistosomiase c’est une maladie tropicale négligée, comme vous le savez, qu’on peut recevoir ou se faire infecter [par] l’eau fraîche. C’est un parasite en forme de ver ou ‘helminth’, comme on dit en Anglais, qui vit dans un hôte intermédiaire qui est l’escargot, dans de l’eau fraîche, comme des lacs, des rivières—en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient—un peu partout. Puis, de plus en plus, on le voit aussi dans certaines régions en Europe, comme en Corse. Alors c’est un petit organisme qui vit dans les escargots, puis ensuite, pendant la journée, quand le parasite sait qu’il y a plus de monde dans l’eau, va sortir puis aller infecter par la peau. Alors ça affecte principalement dans les régions endémiques des femmes qui font leurs tâches quotidiennes, les enfants qui vont peut-être jouer dans l’eau. Les enfants d’âge scolaire et préscolaire ont aussi un plus grand risque [d’attraper] cette maladie, mais aussi les pêcheurs et toutes autres personnes qui ont des emplois ou des tâches qui nécessitent un contact avec de l’eau fraîche.

On pense environ [que] 250 millions de personnes sont infectées présentement, et à cause de la facilité [par] laquelle on peut être infecté, on estime environ 800 millions de personnes qui sont à risque dans les régions affectées. Alors, selon l’ONU, après la malaria, c’est la plus grande maladie parasitaire en terme de risque. Pour l’impact global, ça fait plus d’un milliard de personnes et ça a aussi beaucoup d’impact sur la mortalité, oui—mais surtout la morbidité. Comme la plupart des maladies parasitaires, c’est une maladie qui va à long terme.

Le parasite ne veut pas nécessairement, comme un virus, t’utiliser rapidement et trouver d’autres hôtes. Les vers veulent tellement rester dans ton corps pendant quelques années qu’ils vont même [prévenir] d’autres vers pour t’infecter. Alors c’est une maladie qui affecte principalement le foie. Et c’est après 10-20 ans que les gens meurent principalement de ‘liver failure’. Alors c’est ça, il y a des traitements—Il y a des symptômes qu’on peut prévoir aussi pour cette maladie—parce que les gens qui vivent dans les régions endémiques vont plus aller à la phase chronique de la maladie. Mais les gens qui, comme nous, en Amérique du Nord ou en Europe, qui vont visiter par exemple dans les régions endémiques, ils vont peut-être aller nager ou quelque chose, il y a une phase ‘acute’ qui, dans le fond, va se présenter [sous] la forme d’une fièvre. [On] peut aussi voir là où les larves vont pénétrer dans ta peau—tu peux avoir une réaction dermatologique aussi. C’est tout un cycle de vie qui va se passer dans ton corps—t’as les larves qui viennent par la peau. Ils vont aller partout : ils vont passer par les poumons et à travers les vaisseaux sanguins et finalement trouver là où ils veulent résider.

Il y a deux espèces, principalement pour les humains qui sont importantes : c’est Schistosoma mansoni et Schistosoma haematobium. Haematobium va surtout affecter la vessie, et il y même des cas où c’est relié avec le cancer de la vessie.

Maëla : Merci beaucoup. C’est très intéressant. Pouvez-vous nous parler de vos recherches actuelles et de votre travail actuel à l’université de McGill?

Adam : Alors à l’université McGill, je travaille dans le centre de recherche du Centre universitaire de santé à McGill et c’est beaucoup plus du travail—moins de la recherche fondamentale, mais plus de la recherche—et pas nécessairement de la recherche clinique, c’est un peu entre les deux. En anglais, on dit ‘translational research’ parce que ce sont des projets de recherche qui vont—on espère–qu’ils vont aider plus vers un traitement de façon plus direct que la recherche fondamentale, par exemple. Alors mon projet—mon travail consiste de développement de vaccin. Alors dans le laboratoire du Dr Ndao, on a un antigène, la Cathepsin B, qui est un antigène qui est important pour les vers pour leur façon de se nourrir et digérer les produits qu’ils trouvent dans notre sang. Alors c’est un antigène où il y a déjà eu quelques étudiants auparavant qui ont travaillé là-dessus. Et là où je suis venu, c’était plus en collaboration avec le Dr. Brian Ward où on a utilisé un vecteur de salmonelle qu’on veut utiliser pour exprimer notre antigène et introduire ça dans l’hôte, dans notre cas des souris pour l’instant, comme un vaccin oral pour prévenir et traiter la schistosomiase.

Alors [de] jour [en] jour, c’est plus comme des expériences sur les souris, du clonage au début, et beaucoup de tests immunologiques pour voir des taux d’anticorps et aussi faire des tests pour la protection où on a établi une colonie d’escargots en laboratoire pour faire des modèles d’infection aussi chez nos souris. Comme ça, on peut vraiment tester l’impact et l’efficacité de notre vaccin.

Au début, on s’est concentré sur la prévention, mais récemment, on a essayé quelques projets sur un vaccin thérapeutique, alors dans le fond, c’est le même vaccin qu’on donne, qui peut fonctionner, à prévenir, mais aussi peut traiter dans le cas d’une maladie chronique.

Maëla : Et qu’est ce qui fait en ce moment pour traiter la schistosomiase, et est-ce que c’est efficace?

Adam : Oui, il y a un traitement oral, ça s’appelle le Praziquantel, qui est assez efficace. Ça peut fonctionner jusqu’à 85% à 90% environ. C’est donné de façon répandue, surtout en Afrique, une fois par année dans les régions endémiques. Il y a quelques problèmes avec cette maladie—cette drogue–excusez-moi—où la drogue fonctionne très bien sur les vers adultes. Donc si on est infecté avec des verres larvaires, on appelle ça des schistosomules–ils ne sont pas affectés par la drogue et les larves vont pouvoir croître et devenir des vers adultes avec le temps. Aussi ça ne prévient pas l’infection. Alors ça fonctionne vraiment sur les vers adultes qu’on a dans notre corps [au] moment que c’est donné. Pour vraiment éliminer la schistosomiase, ce qu’on a vraiment besoin, ça serait un vaccin qu’on pourrait utiliser en combinaison avec la drogue avec le Praziquantel. Et comme ça, utiliser les deux ensembles pour vraiment éliminer, puis assurer une protection à long terme.

Maëla : Alors quel impact est-ce que ce vaccin pourrait avoir sur les populations affectées, et pourquoi est-ce important?

Adam : Ouais, c’est lié à la réponse que j’ai donné pour la question précédente, où ça fait plusieurs années qu’on cherche un vaccin. C’était au milieu des années 90 que l’ONU avait décidé que n’importe quel vaccin avec au moins 40% d’efficacité serait très idéal pour la schistosomiase, parce que c’était le meilleur taux d’efficacité de protection qu’on avait à ce moment. Nos vaccins, avec notre antigène, se sont rendus jusqu’à 90% dans notre modèle murin. Évidemment, ça dépend de voir ce qui va se passer quand on change d’hôte, mais un vaccin en général aura un très grand impact parce que ça assurerait qu’il y a une protection à long terme; que les gens qui vivent dans les régions endémiques peuvent poursuivre leurs tâches.

J’ai dit au début que les enfants sont les plus à risques. Il peut y avoir des impacts sur leur croissance aussi, vu qu’ils sont plus à l’âge scolaire et préscolaire. Donc ça améliorerait grandement la qualité de vie des gens qui vivent dans les régions endémiques et ça offrirait une protection aussi pour le tout le monde qui est touriste, qui veulent aller visiter les régions endémiques. Il y a quelques pays qui se sont rendus à l’élimination avec la chimiothérapie avec la drogue, mais aussi avec des mesures contre l’hôte intermédiaire, les escargots, alors plus des mesures environnementales qui leur ont aidé à assurer une élimination et une grande protection. Mais dans les régions sont plus durement frappées, un vaccin serait vraiment idéal pour ça ne [soit] plus un problème.

Maëla : Alors quels sont certains des défis dans le développement de ce vaccin?

Adam : C’est une bonne question. Je pense qu’on a tous vécu ça avec la covid. On a tous vu à certains degrés un peu comment ça se passe pour le développement d’un vaccin. Bien sûr, avec la covid-19, c’était un vaccin qui était très recherché et où les gens ont mis beaucoup d’argent dedans vu que c’est une pandémie globale. Mais dans le cas des maladies tropicales négligées, malheureusement, il n’y a pas beaucoup d’argent dans ce domaine. Les plus grandes contributions viennent surtout d’habitude de l’ouest et dans les pays plus en Amérique du Nord puis l’Europe. Mais comme je l’ai dit plus tôt, c’est pas vraiment un problème dans ces pays-là. Alors il y a moins de chances de développer un vaccin contre la schistosomiase que contre les [maladies] qu’on a en ce moment, qui nous frappent plus durement ici, au Canada par exemple. Donc définitivement un grand défi, c’est l’argent. Et puis je pense que–il y a beaucoup de vaccins qui sont en stage préclinique en ce moment contre la schistosomiase. Mais il y en a très peu qui sont en stade clinique et je pense que c’est à cause d’un manque de fonds. Sinon, c’est un vaccin qui est très—c’est une maladie qui est très compliquée. Et comme la plupart des maladies parasitaires, vu que c’est très chronique, il y a beaucoup d’interactions avec le système immunitaire et il a vu que c’est tout un cycle de vie, différents stades du cycle de vie vont interagir avec le système immunitaire différemment et vont nécessiter une réponse immunitaire différente. Je pense qu’il y a beaucoup de recherches en ce moment en ce qui consisterait le vaccin idéal en terme de quelle réponse on veut aller chercher avec le vaccin. Et je pense que ça revient au manque de fonds, parce que plus il y a de fonds, plus qu’il y a de recherches fondamentales dans la maladie qui va nous informer pour le développement d’un vaccin, puis ensuite répondre à un vaccin. Ça va nécessiter beaucoup de contribution globale je pense.

Maëla : Et quelles sont les prochaines étapes dans le développement du vaccin contre la schistosomiase?

Adam : Dans mon projet, on a vraiment bien établi que le vaccin fonctionne de façon prophylactique et de façon thérapeutique. Et dernièrement, ce qu’on a fait, c’est qu’on l’a rendu un peu plus utilisable, si on veut, pour les humains, où on l’a modifié de façon qu’il n’y a plus de gènes de résistance aux antibiotiques utilisés précédemment. Alors comme ça, on ne voulait pas introduire des gènes de résistance aux antibiotiques chez l’humain. Donc, en collaboration avec l’Institut Armand-Frappier à Laval, on a modifié la salmonelle à cette fin. Et on est vraiment rendu à l’étape où pour ça aille plus loin, ça va nécessiter plus de fonds pour—dans le fond on commence dans un modèle murin, puis on veut ensuite aller dans un autre animal. Alors pour la schistosomiase se sont plus des babouins– donc les babouins coûtent cher. Alors c’est la prochaine étape et une fois que la protection, l’efficacité est vue chez les babouins ça irait chez les humains, dans une première phase clinique. En général, comme je l’ai dit plutôt, il y a quelques vaccins qui sont en phase clinique en ce moment. Alors ça reste à voir. Je suis confiant que ça va bien aller. Je pense pas que c’est nécessairement mon vaccin à moi qui va aller dans le marché, mais tant qu’il y a un vaccin contre la schistosomiase, ça aiderait déjà grandement. Ça reste à voir les résultats des phases cliniques qui sont là en ce moment, mais c’est prometteur.

Maëla : Merci. Alors selon vous, comment les étudiants et les jeunes professionnels peuvent-ils s’impliquer et s’engager dans la lutte contre les maladies tropicales négligées? Et pourquoi est-ce que ce serait important?

Adam : Ouais, c’est une bonne question. Comme je l’ai dit plus tôt, je pense que je me suis trouvé là dans ce domaine un peu par hasard. Mais je pense que ce que ça nécessite vraiment, ça serait–pas une meilleure éducation, mais je dirais une éducation qui se passe plus tôt chez les jeunes étudiants et professionnels, parce que ça se peut qu’il y a beaucoup de gens qui seraient intéressés dans ce domaine, mais ils ne savent pas que ça existe. Et comme les MTN ne sont vraiment quelque chose qu’on voit ici, au Canada, où en Amérique du Nord en général, il y a pas beaucoup–je pense qu’il y a beaucoup de gens qui sont ignorants un peu à leur sujet. Alors s’il y a des gens qui sont déjà intéressés par la microbiologie/immunologie, je pense qu’on a vu beaucoup plus de gens qui ont un intérêt dans ce domaine dans les maladies infectieuses avec la covid-19, ça serait vraiment d’avoir des cours à l’école qui se passent un peu plus tôt, peut être même au secondaire. C’est d’essayer de sensibiliser les gens comme un peu plus tôt–qu’il y a tout un monde à l’extérieur de notre petite bulle. Il y a beaucoup de maladies—il y a tout un style de vie qui existe ailleurs, qui est très différent du nôtre. Je pense qu’une sensibilisation qui se passe plus tôt dans l’éducation et dans le développement professionnel des jeunes aiderait pour avoir une plus grande communauté qui supportent la lutte pour les MTN.

Maëla : Je suis vraiment d’accord avec ça, oui. Alors finalement, j’ai une dernière question pour vous. L’automne dernier, tout comme moi, vous avez participé à la création de la vidéo sur la déclaration de Kigali, du Réseau canadien des maladies tropicales négligées. Alors, selon vous, pourquoi est-ce que le Canada devrait ajouter sa signature à la déclaration de Kigali?

Adam : Oui, je pense qu’il serait très important que le Canada ajoute sa signature à la déclaration de Kigali, car cela montrerait que le Canada est présent et soutient la lutte contre les MTN et que nous travaillons davantage ensemble. Donc je dirais que déjà, nous voyons qu’il y a un manque de communication entre les pays riches et les pays plus pauvres. Je dirais donc que le Canada, en ajoutant sa signature, montrerait sa volonté d’aider [dans la lutte] contre les MTN, ce qui est très important pour la communauté mondiale.

Maëla : Certainement. Merci beaucoup Adam, c’est ça qui conclut notre entrevue aujourd’hui. Donc je vous remercie beaucoup d’avoir partagé vos connaissances et vos expériences vous-même en tant qu’étudiant et jeune professionnel. Donc le Réseau canadien des maladies tropicales négligées vous remercie beaucoup pour vos efforts et c’est vraiment tout un plaisir de pouvoir discuter avec vous aujourd’hui. Alors merci beaucoup et à la prochaine!

Adam : Merci beaucoup.